Boîte aux Lettres

Goor-Hof, par Bouwel (Belgique)
le 3 septembre 1909.

Monsieur le directeur du Figaro,

Vous publiez dans votre numéro du 29 écoulé un article contenat quelques renseignements erronés sur le Mont de la Verité (Monte-Verità) prés d’Ascona qui pourtait me faire un tort considérable, et je vous prie de bien vouloir publier la présente lettre rectificative.

Le Monte-Verità était avant tout un établissement de cure, dont le traitement consistait généralement en bains d’air et de soleil, applications d’eau, sport et alimentation végétalienne. Certaines études, la danse et surtout la musique entraient aussi dans le traitement de la plupart des malades. On pouvait y séjourner en pension; maintenant on ne donne plus de pension; et ce changement d’organisation est cause du bruit de fermeture qui circule dans les journaux. Cependant les chalets, les bains d’air sont encore occupés par des locataires au jour, au mois ou à l’année, soit pour y faire une cure, soit pour jouir d’une vie plus en harmonie avec la nature, et restent à la disposition du public comme par le passé.

Et vivre en harmonie avec la nature ne veut nullement dire retourner à l’état de nature primitif. Nous voulons au contraire introduire dans notre vie tous les progrès réels de la civilisation tout en observant les lois de la nature pour notre santé. Nous voulons travailler activement, très activement pour nos besoins matériels le matin. Et cela suffit amplement: car, si nous faisons abstraction de tous les besoins que créent le luxe, les excès de table, la manie de fumer, si nous vidons nos maisons des mille horribles bibelots inutiles et sans art qui les remplissent, si le paysan ne donnait pas les trois quarts de son travail pour produire la nourriture des animaux, une demi-journée de travail nous fournirait en abondance ce que nous avons besoin. Et l’après-midi, nous voulons jouir de la vie, nous voulons la consacrer aux études, au sport, à l’art. Et nous prétendons qu’une vie organisée ainsi nous donne plus de santé, plus de satisfactions et nous permet d’évoluer plus rapidement.

Dormir nu sur la terre nue est une pratique que se permettent tout à fait exceptionnellement, pendant les nuits les plus chaudes de l’été, quelques malades très sanguins. Pratiqué le jour à l’ombre pendant une heure ou deux ce régime est – n’en déplaise aux amateurs de quinine – le plus puissant et le meilleur remède contre la fièvre. Mais les vrais végétaliens ne dorment jamais sur la terre nue.

Autour du Monte Vérita sont venus s’établir peu à peu une centaine de particuliers, plus ou moins végétariens, végétaliens ou naturistes de toutes les classes de la société. On y trouve malheureusement encore quelques fanatiques; mais le plus grand nombre sont des gens sérieux et instruits.

Agréez, monsieur le directeur, avec mes remerciements anticipés, mes salutations les plus distinguées.

H. OEDEN ROVEN-HOFMANN,
Propriétaire-fondateur.

Le Figaro, 55. Jahrg., 6. September 1909, Nr. 249. Online.